Le tableau est plutôt sombre, mais à Reni, au bout de la route, il est encore pire. Reni est un ancien port industriel sur le Danube, aujourd'hui point de passage incertain vers la Moldavie et la Roumanie, mais en réalité un cul de sac, depuis que le trafic fluvial s'est effondré.
Dans cette ville composée à 50% de Moldaves roumanophones, 17% d'Ukrainiens et 15% de Russes, l'économie est au point mort. Les usines se sont arrêtées, les infrastructures partent en lambeaux. « Depuis l'indépendance de l'Ukraine, les autorités centrales n'ont accordé à la Bessarabie qu'une attention minimale, c'est de là que découlent toutes les difficultés », estime Sergiy Bilyouk, le chef de l'administration du canton de Reni.
« Pourquoi l'Ukraine a besoin de la Bessarabie ? Ces dernières années, la région n'a eu le droit d'avoir que les restes, poursuit-il. On a apporté plus d'attention aux frontières de l'ouest, dans les régions de Transcarpathie ou de Lviv. Je ne veux pas faire de parallèles, mais la route Odessa-Reni est aussi extrêmement stratégique, elle conduit au sud de l'Union européenne, à la Grèce, aux Balkans, à la Turquie. » Sergey Bilyouk est amer : « peut-être que quelqu'un à Kiev n'était pas intéressé dans la développement de cette région. »
La région souffre car elle n'a pas les compétences et l'autorité pour gérer ses propres ressources ; en parallèle les gens ne veulent pas s'engager dans le processus de décentralisation, parce qu'ils ne croient pas que quelque chose peut être changé. De plus, héritage historique et mental, ils ne sont pas habitués à décider par eux-mêmes et pour eux-mêmes.
« Regardez, aujourd'hui vous avez roulé sur l'autoroute Odessa-Reni, il y a des nids-de-poule partout ; on n'a même pas le droit de tondre l'herbe sur le bord de la route, parce que toutes les questions liées aux routes se décident à Kiev, explique Sergey Bilyouk. La région ne peut même pas décider de qui tondra la pelouse et d'où on peut trouver de l'argent pour cela. »
Le même problème de compétences se pose autour des lacs, sachant que 35000 hecatres, soit la moitié du territoire de la région de Reni, est recouvert de lacs. Or, les autorités locales n'ont pas le droit de mettre leur nez là-dedans. Toutes les ressources générées par la pêche ou la location d'emplacements remontent immédiatement à Kiev.